TEXTE
la nature panse, le paysage camoufle
La nature panse,
Le paysage camoufle.
Arrière et avant-plan dans l’attente,
Que l’Homme y re—
pense.
Le paysage est une « invention » [1], une forme qui, originellement, est dissociée de la nature dans le sens où l’Homme façonne les paysages de la nature. Cette mise en forme paysagère, matérielle et mentale, interroge la position de l’Homme dans le monde. Son devenir être modifie son rapport à la nature, l’instabilité de sa posture y laisse ses empreintes. Par ses déplacements, il fait du paysage le recueil des traces de son équilibre précaire dans l’environnement, de ses tentatives d’introduire des repères pour se situer et s’orienter. Par ses constructions, l’Homme crée des écarts entre les espaces de vie lui étant pré-existants, pour établir ses lieux de vie dont les formes sont diverses. De fait, il nie l’espace dans laquelle la nature le pré dispose et oublie qu’elle le précède, que son existence en est le pendant. Comme dans un refus de tout dépassement, il efface les rapports d’échelle et de dimensions. Toujours plus en profondeur ou en hauteur, il creuse des espaces en se faisant, lui seul, l’unité de mesure de sa propre condition.
Car l’Homme veut donner un sens à ce l’environne.
Il reconstruit sans cesse l‘artifice de sa réalité.
Mise en abîme du réel, mémoire de ses agissements quotidiens.
L’organique explore ses possibilités de sur vie parmi les interstices qu’il dessine dans les constructions humaines. Ces espaces se font lieux d’une re-naissance vitale, un potentiel de conditions d’existence dont s’est emparée par le biais de la sculpture, de l’installation et de la photographie Morgane Porcheron. L’artiste récolte des fragments du paysage pour recomposer de manière aléatoire des « micro-paysages » selon ses mots. À ces éléments naturels et éphémères, elle confronte des matériaux bruts d’architecture – treillis, béton, grillage – qui se font l’armature d’une découpe cartographique du « recyclage du délaissé sur lui-même » [2]. De ce rapport dualiste entre l’Homme et la Nature. De ce pouvoir de vivre – à la marge. Les champs de vision que propose Morgane Porcheron questionnent ce que le paysage masque sous la manifestation de ses apparences. Les « mauvaises herbes » ou les « plantes sauvages » réelles ou recréées en céramique, captent ainsi notre attention en désorientant les modes de perception d’une nature rendue sous jacente à et par l’Homme. D’une réalité ordonnée par l’écran artificielle qu’offre au regard la superposition d’un arrière-plan naturel et d’un avant-plan paysagé, du paysage urbain en décomposition et en ruine aux creux des méandres des lits des rivières. Cependant, l’inversion des plans s’opère par l’imaginaire. Un décalage de pensée que nous invite à expérimenter par la déambulation Morgane Porcheron. Le réel et la fiction s’entremêlent in fine, l’ambivalence des matières se joue du faux semblant. Les échelles et les dimensions reprennent leur fonction, le naturel redevient mesure de lui-même. Une force qui émane d’un espace évidé de la présence humaine dans le terreau nourricier où germent les graines semées par l’artiste. De ces strates temporelles dans lesquelles l’invisible redeviendra visible. Le vivant recouvrira ce qui est figé. La nature reprendra ses droits. Et tous deux témoigneront ; de leur artificialisation.
Diane Der Markarian
[1] CAUQUELIN, Anne, L’invention du paysage, Paris : Presses universitaires de France, 2004.
[2] CLÉMENT, Gilles, Manifeste du Tiers paysage, Sens et Tonka, 2004.
Site de l’artiste Morgane Porcheron