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sophie blet, « du muable »

Exposition au SALON DU SALON Project, Marseille
30.08-17.09.2023

 

Sophie Blet travaille à l’intersection de différents médiums – l’édition, la peinture et l’installation -, avec une importance accordée à la sculpture. Tout est question de mise en forme du langagier, du figuré, de l’architecturé. D’une mise en forme et d’une mise en espace : la sculpture est double par ses qualités plastiques et esthétiques. Travail de l’espace dans l’espace ; de et dans : aire de pré-position.

 

L’artiste explore le « en devenir » des formes comme un « ad-venir » où tout deviendrait visible et invisible, possible comme impossible, déterminé comme indéterminé. Le sens s’évade, les repères s’effacent. Comme si nous pouvions tracer les lignes d’air du vent sur une feuille : suivre l’ombre du geste en mouvement, ne pas voir mais envisager ce qu’il pourrait représenter. Sophie Blet donne visage à l’in-visagé. Dans une zone d’entre qui se veut plurielle, potentielle : une zone de transparences et de reflets, de double et de mises en parallèle. Cette zone intermédiaire peut prendre la forme d’un pli, d’un bord, d’une limite voire d’une ligne : un espace sans début ni fin, seuil de traverses infinies.

 

La force de son travail réside en ce que s’expose la fragilité de l’existence à travers une conjugaison du temps du monde et du temps individuel. La désorientation qui s’opère dans l’espace, presque semblable au principe de l’entropie, procède d’une esthétique de la « catastrophe » dans le sens étymologique du terme « renversement ». Comme si nous regardions le monde à travers une bulle de verre [1] : l’avers confondu dans l’envers et vice-versa. Dans cette réversibilité perpétuelle, l’artiste parsème des traces, joue des rebonds entre les œuvres, entre le contenant et le contenu, entre la forme et les mots, tout se contient et se déverse d’une pièce à l’autre : d’une étagère-mémoire aux module-mesures en passant par le fugitif des nuages, l’objet et son double.

 

Elle déloge ainsi le défini de ses catégories, elle procède par contraires afin de déceler toutes les textures et nuances des choses et du langage : l’ombre devient blanche, le verre devient opaque, le dedans le dehors, le creux le plein. Au cœur de ce jeu de « faux-reflets », Sophie Blet esquisse de nouvelles perspectives, ouvre la voie à de nouveaux points de vue. Elle nous invite à expérimenter le muable du monde en nous positionnant dans un état transitoire, savante mise en abîme de ses œuvres. Car chacune d’elles est en état d’expansion : à moitié vue, à peine décelable. Non pas qu’il y ait une part manquante mais bien une part à y ajouter ; là où nous pouvons développer un imaginaire, se projeter dans l’œuvre pour y trouver du sens.

 

Diane Der Markarian

 

 

[1] En référence au film La Double Vie de Véronique (Krzysztof Kieslowski – 1991) qui explore l’histoire d’une double existence, celle de Weronika, polonaise, et de Véronique, française, séparées physiquement mais reliées psychiquement pas un destin croisé et peut-être réversible. La mort de l’une, qui s’éteint lors de son premier concert de choriste, semble changer sensiblement la vie de l’autre et laisse ainsi l’idée d’un autre à soi, d’une vie et de son double, d’une vie et de son esquisse.

 

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